Interview
de Natasha St-pier
Vous avez sorti trois albums avec à chaque fois un enjeu : l'enjeu
du premier album (Émergence, 1996), la conquête de l'Europe
(A chacun son histoire, 2000) et la collaboration avec des auteurs à
succès dont Obispo (De l'amour le mieux, 2002). Avez-vous conscience
de cela ?
Chaque
sortie d'album est importante mais je n'ai jamais vu les choses de
ce point de vue-là, même s'il est vrai que c'est énorme.
Quand je suis en train de faire l'album, je me dis toujours que si
c'est pas celui-là qui marche, ce sera le prochain. J'aime
croire qu'il y a trois, quatre trains qui vont passer. Si je ne prends
pas le premier, il me restera le suivantŠ
J'ai
l'impression que la machine St-Pier est aujourd'hui une machine bien
huilée, voir trop. Qu'en pensez-vous ?
En fait
c'est sécurisant. C'est bien pour moi d'avoir des gens d'expérience
autour de moi pour me rassurer et corriger tout ce qui aurait pu être
mal fait ou pour me guider vers la bonne voie, parce que je fais des
erreurs et c'est normal.
Après
avoir fait la première partie de Garou puis l'Eurovision, les
propositions pour un nouvel album français ont dû être
particulièrement nombreuses. Pascal Obispo est arrivé
à quelle étape de ce processus ? A-t-il bousculé
un projet d'album déjà en marche ?
En fait,
nous voulions faire un album après la tournée en France
et au Québec. Finalement, il est arrivé plus tôt
parce qu'on avait trouvé la personne qu'on cherchait. Sans
Pascal, l'album se serait fait mais un peu plus tard. J'étais
très contente de cette collaboration, j'ai essayé de
me contenir un peu parce que je voulais pas m'imaginer trop de belles
choses et après, être déçue. Il n'est pas
intimidant, ça n'a pas été une rencontre difficile.
Au contraire.
Étant
vous-même auteur-compositeur, comment avez-vous abordé
Et toi qui manque à ma vie et les Diamants sont solitaires,
écrits par deux femmes, Julie D'Aimé et Marie-Jo Zarb.
Avez-vous été plus réceptive à cette écriture
féminine ?
Quand
j'ai découvert les textes pour la première fois je ne
savais pas qui en étaient les auteurs, parce que je ne veux
jamais le savoir pour ne pas que ça puisse influencer ma décision.
On aurait tendance à dire qu'il y a une plus grande sensibilité
dans des textes féminins mais en même temps j'ai reçu
des textes de garçons qui étaient très très
beaux, très poétiques où la sensibilité
avait une grande place.
Le fait
que vous écriviez aussi a-t-il apporté quelque chose
dans la conception de votre dernier album et dans ta relation avec
l'auteur qu'est Obispo ? Ou avez-vous effacé cet aspect de
votre personnalité ?
J'avoue
que je me suis laissée faire par Pascal, parce que malgré
deux chansons et trois albums à mon actif je ne crois pas avoir
une expérience encore assez grande pour juger seule. Donc j'aime
m'en remettre entre les mains de quelqu'un comme Pascal. J'ai quand
même donné mon opinion sur tout mais s'il y avait un
point de désaccord, j'avais tendance à plier plus facilement
que je l'aurai fait dans d'autres situations de ma vie.
On a
au Québec une façon très nord-américaine
de pratiquer la musique. En France le son est très épuré,
lisse et on le constate tout particulièrement dans la musique
dite populaire, souvent très uniformisée. Comment vous
arrangez-vous avec ça ?
Pour
décrire le style qui est le mien, les Français disent
que c'est de la variété. La plupart des artistes français
font ce style-là alors qu'au Québec, on est finalement
très peu nombreux à le faire. Je suis assez à
l'aise dans ce style musical que j'aime beaucoup. Mais je ne vais
pas faire ça tout ma vie. C'est probable que dans un prochain
album et sans nécessairement changer de voix, il y aura quelques
petites inclinaisons vers autre chose. Nos goûts changent d'un
album à l'autre. Je ne sais pas quelle sera la durée
de vie de cet album. Je vais sûrement avoir envie d'autre chose.
Cependant j'aime beaucoup le blues et le jazz mais je ne ferai jamais
un album complet dans ce style parce que j'ai une passion trop forte
pour la musique populaire. J'aime aussi le bon soft rock à
la Amanda Marshall mais toutefois pas assez pour en faire tout un
album.
vous
n'avez donc pas eu l'impression avec ce dernier album de rentrer dans
un système de productions françaises que certains, au
Québec, jugent insipides ou en tout cas répétitives
?
C'est
certain que c'est très très français. Mais ayant
habité là-bas pendant un an avant la sortie de cet album,
j'ai pu me familiariser avec ces sons. De plus, je ne vois pas la
différence sauf peut-être dans les clips qui utilisent
beaucoup les couleurs vives au Québec. C'est très nord-américain.
Alors qu'en France tout est très pâle, tout en transparence.
Au niveau musical, mon oreille est tellement habitué à
ce son que si on me proposait une chanson en anglais, je serais incapable
de te dire si elle est américaine ou française.
Quelle
place laissez-vous à la découverte, à l'improvisation
et à la surprise quand vous enregistrez un album ?
Mon plus
gros défaut est que je ne répète pas énormément
mes chansons. Je les apprends, me familiarise avec la mélodie
mais jamais par c¦ur. En studio, avec Pascal, c'est jamais
sérieux et quand on se prend au sérieux, c'est là
que sortent des choses spéciales. Par exemple, à la
fin d'une chanson, je lance un "wow" que l'on a samplé
et mis sur une autre pièce plus rythmée. Ça a
donné quelque chose de fun. C'est en studio qu'on peut se tromper
et avoir l'air fou. On est avec des gens qui nous aiment et qui veulent
nous rendre meilleur. J'aime mieux expérimenter en studio et
faire des choses qui ne sont musicalement pas intelligentes pour après
être correcte devant le public.